Ancien projet DBS (Développement Boulogne Seguin - Hines, Icade et Vinci immobilier)

Emmanuelle Chaudieu (Télérama) a écrit:Un lieu symbolique, des stars de l’architecture, un possible coup immobilier : les ressorts de la saga de l’île Seguin, qui s’épuise en rebondissements.

Avec son profil tout en courbes légères et épurées, le pont Renault a de l’allure. Dessiné par l’architecte Marc Barani, il permet aux piétons de rejoindre l’île Seguin depuis le quartier du Trapèze, à Boulogne-Billancourt. En empruntant les larges gradins de bois dont il est recouvert, on découvre sur notre droite la silhouette de La Seine musicale, amarrée à la pointe aval de l’île. Et sur la gauche ? Pas grand-chose ou presque : des palissades et des grilles, fermant l’accès à la partie centrale. Un terrain en friche, sans doute le plus célèbre du Grand Paris, qui, si l’on en juge par les panneaux d’affichage des permis de construire délivrés le 5 novembre 2020, devrait normalement se transformer en chantier. Sauf que la destinée de l’aménagement de l’île Seguin suit un cours tout sauf normal. « Mouvementé » serait plus adapté, même si le qualificatif reste encore en deçà de la réalité du soap opera politico-administratif qui se joue depuis le départ de l’usine Renault de son site emblématique, il y a maintenant presque trente ans (la production s’y est arrêtée en 1992). Une sorte de Dallas-sur-Seine avec son lot de rebondissements, ses guest-stars, ses seconds couteaux, ses manœuvres en coulisses, ses enjeux financiers et de pouvoir. Et au cœur de toutes les convoitises et des fantasmes : un bout de terre d’un peu plus de 11 hectares, niché au cœur d’une boucle de la Seine.

Adieu prolos, Bonjour bureaux
Tout commence en 1989, quand Renault annonce son départ prochain de Billancourt. Une petite décennie s’écoule — le temps de diligenter des études, de commander des rapports et de consulter les architectes — avant qu’un projet d’aménagement sorte de ce remue-méninges. Celui-ci consiste en un mix de logements, de bureaux et d’équipements publics, édifiés sur une île dépolluée et débarrassée de l’usine, la Ville de Boulogne et Renault étant parvenus à un accord sur la démolition des bâtiments industriels. Ce qui donne lieu à la première apparition fracassante d’un personnage récurrent de la saga Seguin : Jean Nouvel. Dans une tribune publiée par Le Monde le 6 mars 1999 et intitulée « Boulogne assassine Billancourt », l’architecte s’étrangle de voir disparaître « un symbole majeur du mouvement ouvrier en France » et dénonce un « assassinat urbain ».

L’année suivante, un autre protagoniste de premier plan — qui ne restera que quelques saisons, mais marquera durablement les esprits — entre en scène : François Pinault. En septembre 2000, l’homme d’affaires se porte candidat à l’acquisition de 40 % de l’île à la pointe aval et confie à l’architecte japonais Tadao Ando une étude pour un édifice destiné à accueillir sa fondation d’art contemporain, dont l’ouverture est attendue en 2005. Ce sera finalement l’année où Pinault jettera l’éponge, épuisé par la lenteur administrative, l’incertitude sur les projets environnants, les recours associatifs… Le milliardaire déserte les rives de la Seine pour la lagune de Venise. Le « vaisseau de verre suspendu au-dessus de la Seine » de Tadao Ando, lui, ne verra jamais le jour. Seul sera construit le pont de Marc Barani, commandé à l’origine pour satisfaire une demande du capitaine d’industrie, qui souhaitait un accès direct de Boulogne à sa fondation.

Après ce fiasco, le maire d’alors, Jean-Pierre Fourcade, soumet en 2006 une proposition d’« île des Deux Cultures » (arts et sciences). Idée qui sera enterrée deux ans plus tard par son successeur et ancien premier adjoint, entré en dissidence une décennie plus tôt sur fond de discorde à propos de… l’aménagement de l’île Seguin. Lors des élections municipales de 2008, l’édile en question, Pierre-Christophe Baguet, mène campagne pour une île « dédensifiée », s’appuyant sur l’idée d’un « jardin des sculptures », soufflée par un certain Nicolas Sarkozy. L’île, elle, reste cependant toujours aussi déserte et le feuilleton commence à lasser. Heureusement, ses showrunners trouvent un bon moyen de relancer l’intrigue en appelant Jean Nouvel à la rescousse, qui se retrouve chargé de coordonner un nouveau plan. Les fans ne sont pas déçus : le programme présenté en 2011 prévoit cinq tours de 100 à 120 mètres de haut sur 330 000 mètres carrés de surface, soit le double de celle prévue pour l’« île des Deux Cultures ». Pour la dédensification, on repassera, mais il est vrai que le tertiaire rapporte plus que le statuaire.

Un peu de verdure pour faire digérer
Les critiques et les réactions outragées, avec un slogan tout trouvé (« Jean Nouvel assassine Billancourt »), ne tardent pas. Les associations de riverains sont remontées comme des coucous et, cerise sur le rooftop végétalisé de la tour, la perspective d’un mini-Manhattan à la sortie de Paris suscite des vocations militantes. Ainsi se crée le collectif Vue sur l’île Seguin, rassemblant des habitants de Boulogne et de Meudon. « Mais qui n’ont pas tous une vue sur l’île », précise d’emblée Michel Becq, l’un de ses membres, soulignant que leur objectif principal est de faire de Seguin une « île verte » (leur pétition lancée dans ce sens a recueilli plus de 52 000 signatures).

Face à la fronde, la Mairie de Boulogne demande à Nouvel de retourner à sa planche à dessin. L’architecte revient avec trois variantes du projet initial, soumises à « votation citoyenne », simulacre de démocratie participative selon les associations : « Il s’agissait d’une consultation par vote électronique sur les trois projets présentés, que nous avions surnommés “Béton 1”, “Béton 2” et “Béton 3” », s’agace Michel Becq. « On n’avait pas le droit de voter blanc, renchérit Agnès Bauche, présidente d’Action environnement Boulogne-Billancourt (AEBB). Du coup, les Boulonnais se sont dit que s’ils ne votaient pas ils allaient se fader le projet le plus bétonné et ils ont choisi le moins mauvais. » Celui-ci est finalement retoqué après que le PLU (plan local d’urbanisme) sur lequel il se fondait, attaqué par six associations, a été annulé par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Retour à la case départ. Ou presque. En 2009, la Ville de Boulogne cède la pointe aval pour un euro symbolique au département des Hauts-de-Seine, qui va y édifier La Seine musicale, inaugurée en 2017, ce qui permet d’éviter une déconfiture totale. Reste que, face au paquebot de verre et de béton, l’ambiance n’est pas trop à La croisière s’amuse. « Il y a un côté île maudite », commente Bernard Landau, architecte-urbaniste et animateur de l’association La Seine n’est pas à vendre, créée en 2018.

Aujourd’hui, où en est-on ? Pour la pointe amont, le futur « pôle artistique et culturel » porté par le groupe immobilier Emerige, comprenant un centre d’art contemporain, un cinéma, un hôtel « arty » 4 étoiles, des bureaux et des commerces, devrait — l’emploi du conditionnel s’impose… — voir le jour à l’horizon 2023-2024. Certes, le projet n’enthousiasme pas les riverains, mais il a le mérite de ne pas détruire la perspective. « Le plus important pour nous, confie Michel Becq, c’est qu’il n’y ait pas de bétonisation sur la partie centrale. » Celle-là même sur laquelle sont braqués tous les projecteurs, avec un nouveau rebondissement survenu à la fin de l’été 2020. Du 15 juillet au 2 septembre a été menée l’enquête publique concernant le dernier projet en date, géré par le consortium DBS (composé des sociétés Hines, Icade et Vinci Immobilier) et coordonné par Christian de Portzamparc, qui prévoit un ensemble de 130 000 mètres carrés de bureaux, commerces, restaurants et espaces de loisirs, ainsi qu’un parc de 1,5 hectare. Si l’avis du commissaire-enquêteur, rendu le 2 octobre, est favorable, la contestation, elle, n’a jamais été aussi vive. Le 14 octobre, dix-huit associations signent « La déclaration de l’île Seguin », avec copie adressée aux ministres de la Transition écologique et de la Santé. « Comment imaginer qu’en 2020 on n’envisage pour l’île Seguin qu’un programme massif de bureaux, une simple extension du quartier du Trapèze, au moment où il est question de donner une personnalité juridique à la Seine ? » écrivent-elles. « C’est vraiment l’échec de la pensée, à l’inverse de ce qu’il faudrait faire sur le plan de la transition écologique, se désole Bernard Landau. C’est le marché qui fait l’urbanisme ; on laisse les maires bétonner pour la rente foncière. » Jugeant le projet « néfaste pour la santé publique et pour l’environnement », les signataires militent notamment pour transformer l’île en un espace de fraîcheur, soulignant le rôle essentiel du fleuve pour atténuer les pics de pollution.

Une nouvelle saison en préparation
« Depuis les projets de Jean Nouvel, nous avons évolué vers un programme beaucoup plus vert, avec un parc, des berges accessibles, mais aussi moins dense et plus vertueux », défend de son côté Gauthier Mougin, premier adjoint au maire de Boulogne-Billancourt, chargé de l’urbanisme, et président de la SPL Val de Seine Aménagement. Avant de rappeler que la Ville a « une équation financière à tenir » et déjà engagé 180 millions d’euros pour les ponts et la viabilisation de l’île. Quant à l’opportunité de construire de nouveaux bureaux dans un Ouest parisien qui n’en est pas franchement dépourvu, l’élu assure : « C’est une zone hyper-prisée, avec un taux d’occupation des bureaux de 97 % ; dès que des surfaces se libèrent, elles sont tout de suite reprises. »

En attendant, les permis de construire affichés face à La Seine musicale ont déjà fait l’objet de recours gracieux, avant, sans doute, la phase contentieuse. Les associations se disent « déterminées » et signalent que le préfet des Hauts-de-Seine et le cabinet de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, leur prêtent une oreille attentive. Le feuilleton ne semble pas près de s’arrêter et beaucoup d’eau va encore couler sous le pont Renault avant que les occupants de La Seine musicale puissent envisager une fête des voisins.

Actarus a écrit:Bonsoir,

Article pages 20-21 du journal BBI de novembre 2020 sur les enquêtes publiques dont celle relative à la partie centrale de l'île Seguin :

Source : https://www.boulognebillancourt.com/fileadmin/medias/Publications/BBI_2020/BBI_Novembre_2020_liseuse.pdf

Actarus