Il nous reste une semaine pour voter pour l’un des 3 projets Nouvel d'aménagement de l'île Seguin. Pour certains, il s'agit en fait d'un seul et même projet décliné en 3 versions de densité décroissante. D’autres s'opposent au principe même de cette consultation au motif qu'elle ne permet pas aux boulonnais de se prononcer sur deux projets alternatifs dont la densité du bâti est plus faible. Comment choisir ?
Faisons ensemble l'hypothèse que les cinq projets nous sont effectivement proposés et tentons de les comparer. Pour cela, identifions tout d’abord les projets par ordre de densité de constructibilité :
- Le projet « 110000 » : « une île Seguin verte et bleue » c'est à dire à vocation mixte, sport, nature et culture, avec une densité de constructibilité de 110000m2 (sources : site d’information Sauvonslileseguin.com)
- Le projet « 175000 », une île supportant une constructibilité de 175000m2, c'est à dire dans la limite du PLU de 2004, à vocation a priori culturelle.
- Le projet « 232000 », une île supportant une constructibilité de 232000m2, plus dense mais sans tour, à vocation mixte culture, hôtel, bureaux et sports.
- Le projet « 255000 », une île supportant une constructibilité de 255000m2, plus dense encore avec une tour, à vocation mixte culture, hôtel, bureaux et sports.
- Enfin le projet « 310000 », une île supportant une constructibilité de 310000m2, plus dense encore avec 4 tours, à vocation mixte culture, hôtel, bureaux et sports.
Il apparaît en première analyse que si le projet « 110000 » se distingue des autres par la place consacrée aux espaces verts, parcs et jardins, tous les autres projets partagent au moins 2 fondamentaux - la part importante accordée aux équipements culturels d’une, l'emprise au sol d'autre part -, et ne se distinguent que par la hauteur de certains de leurs bâtiments.
Le projet « 110000 » « une île Seguin verte et bleue », est soutenu par les représentants de EELV, de Val de Seine Vert, et du collectif Vue sur l'île Seguin constitué d'habitants de communes riveraines (France 3 22/11 et E-BB 25/11) dont Meudon. La dimension « verte » de l’île, est le point fort du projet.
Remarquons tout d'abord que les tenants de ce projet utilisent sciemment dans leur communication un vocabulaire et des expressions dont la charge émotionnelle est forte pour légitimer leur propos : béton, bétonnage, ne pas laisser « détruire à jamais un site emblématique » (tract « Refusez le pseudo-référendum sur l’île Seguin »), « une muraille de béton qui va ruiner a jamais un site d’exception » (site www.sauvonslileseguin.com). Ce faisant, on laisse croire que l'enjeu du projet est la suppression d'un site préservé au profit (dans tous les sens du terme) du béton.
En fait, les élus et collectifs verts et les riverains, unis localement par un intérêt commun - les premiers par conviction verte sans nul doute, les seconds, qu'ils soient boulonnais ou meudonnais, par l’intérêt bien compris de la préservation des points de vues et des perspectives dont ils jouissent actuellement depuis leur salon et qui bonifient la valeur de leur biens immobilier - font preuve les uns comme les autres d'une grande mauvaise foi.
Les verts oublient un peu vite que cette île est bétonnée depuis plus de 80 ans – à l’échelle des générations, autant dire depuis toujours - et que si aujourd'hui, les bâtiments d'usine, et leur mur(ailles) d’enceinte ont été détruits, elle reste une friche industrielle, que le modeste jardin paysager de M. Desvigne ne parvient pas à masquer.
Les riverains meudonnais oublient un peu vite qu’ils ont vécu jusqu'à 1992 devant un site industriel en activité de 100ha de Meudon à Billancourt, dont 11,5 sur l’île Seguin.
Quant aux riverains boulonnais, ont-ils vraiment cru les discours rassurant des agents commerciaux des promoteurs leur ventant la vue éternelle sur les coteaux de Meudon ? Ont-ils acquis un bien à 7000€le m2 sans se renseigner sur l'avenir du site, les problématiques et les enjeux des projets successifs qui ont été présentés ? Non bien sûr.
Bref l’objectif du projet « 110000 » n’est pas de préserver un dernier coin de verdure de l'appétit vorace des bétonneurs mais simplement de créer un nouveau parc sur une friche industrielle, dans un espace qui a toujours connu l’industrie.
Soit. La question qui se pose alors est de savoir si les habitants de l'ouest parisien, si les meudonnais et les boulonnais, si les habitants du Trapèze souhaitent un parc supplémentaire à cet endroit ? Ce parc supplémentaire, au final très semblable de celui de l’île Saint Germain, répond-il à un besoin ? Ce point était remonté comme une préoccupation majeure des boulonnais lors des travaux préparatoire à la modification du PLU en2005. Mais on peut légitimement s’interroger lorsque l’on regarde sur une carte les nombreux espaces verts qui existent dans l’ouest parisien. Plus près de nous encore, autour du trapèze, nous disposons d’un accès aisé au Parc de Saint Cloud, à la base nautique de Sèvre, au parc de Billancourt, au parc des Glacières, au parc de l’île Saint Germain.
La possibilité de pouvoir choisir de pique-niquer sur l'ile saint Germain ou sur les bords de seine à Sèvres ou sur l’île Seguin est-elle un facteur d’amélioration de notre qualité de vie ? On peut vraiment en douter.
Au-delà de ces considérations il convient d'évaluer l'impact financier de ce projet. La mairie indique être engagée aujourd’hui à hauteur de 168 Ml sur l'opération Seguin. Ces sommes peuvent-elles équilibrées par des droits à construire suffisants ? Nous n’avons aucune garantie de ce point. Existe-il d'autres sources de revenus. On les cherche. Ainsi la création d'un énième parc jardin sur l’île Seguin se révélerait probablement une charge financière très importante que les boulonnais -du nord comme du sud-, devraient assumer.
Cela ne trouble pas l'architecte P. Robert, consulté pour l'aménagement de l’île en 1995 qui déclare au journal le Monde le 08.02.2012 « la solution n'est-elle pas de s'abstenir de reconstruire l'île Seguin, en renonçant au "manque à gagner" que cela représente ? Le coût d'une opération chirurgicale n'est jamais évoqué lorsqu'il s'agit de sauver une vie »
Certes. Encore faut-il qu'il y ait quelque chose à sauver et surtout que les boulonnais clairement soient informés du montant de ce « manque à gagner »qu'ils devront sortir de leur poche.
Enfin, il nous faut nous interroger sur ce que nous voulons faire avec la dimension historique du site de l’île Seguin, le symbole qu'elle représente pour une part de la population ouvrière, à Billancourt et plus largement en France. La configuration même du site qui en fait une exception industrielle, même si son enveloppe a aujourd’hui disparue. Il est intéressante de citer à cet égard J. Nouvel en 2002 : pourquoi « ramener toutes les exceptions les plus extraordinaires à un dénominateur commun qui est celui de la platitude totale … sans réflexion du tout sur ce que veut dire ce site par rapport à sa géographie, par rapport à son histoire et par rapport à ses fabuleuses anomalies qu'il faut exploiter. Quand quelque chose est différent, il ne s'agit pas de le ramener à quelque chose de normal, il s'agit d'exploiter ces différences pour faire quelque chose de positif avec l’exception. ».
Paradoxalement, P. Robert insiste lui aussi sur la réflexion architecturale à mener entre le lieu et ses aménagements : « Pour moi, l'aménagement urbain n'est pas le résultat d'un programme alléchant exprimé par des images de synthèses, mais celui d'une réflexion sur l'histoire d'un site, sur sa capacité technique à être construit, sur son environnement et son "génie des lieux", sources de la créativité architecturale et urbaine » ( le Monde le 08.02.2012)
Écartons donc ce projet d’île verte et bleue à 110000m2.
Qu’en est-il des autres projets ?
Comme évoqué plus haut ils partagent au moins 2 fondamentaux - la part importante accordée aux équipements culturels d’une part , l'emprise au sol d'autre part, et ne se distinguent réellement que par la hauteur - et la destination – de certains des bâtiments, seule variable d'ajustement du niveau de constructibilité des projets.
La vocation largement culturelle de l’île était présente dans le projet « Fourcade » de 2005 qui prévoyait une cité des arts de 60 000 m² (ex fondation Pinault) sur un total de 180000m2 avec un équipement culturel d’intérêt général, un équipement ludique et familial, des galeries d’art, des commerces et services, ainsi que des ateliers d'artistes.
Les 3 projets Nouvel comportent entre 84000 et 94000m2 dédiés à la culture, dont une « Pointe des arts », des cinémas, un pôle musical, des commerces culturels.
Ce sont ces équipements majeurs qui donnent un sens à la démarche d’urbanisation de l’ile, et qui compenseront aisément les regrets de verdure s’ils sont bien conçus et bien réalisés.
L'importance de l'emprise du bâti au sol est l'autre dénominateur commun à ces 4 projets.
Voici une image du projet « Fourcade » de 2005
Voici une image du projet Nouvel à 310000m2
Voici une image du projet Nouvel à 255000m2
Voici une image du projet Nouvel à 232000m2
A titre d’illustration, voici une image du projet de B. Fortier de 1998 pressenti pour l'aménagement de l'ensemble des terrains Renault
Voici encore une image du projet de P. Robert de 1999, cité en exemple sur le site Sauvonslileseguin.com : Ce projet prévoyait de conserver 60% des bâtiments existants de l’île et de remplacer les autres par de nouveaux bâtiments. Il s’agissant d’un projet à vocation mixte habitation/tertiaire
Il apparaît clairement que dans tous les cas l’île est très largement construite, et qu'il reste très peu de place au sol pour des espaces verts, à tel point que l’on peut considérer que ceux-ci ne constituent plus guère un enjeu d'aménagement.
Certes un espace nommé « jardin » existe dans les projets Nouvel, mais on se demande au fond quelle pourrait être son utilité :
- Un espace de jeux pour les enfants ? Il apparaît évident que sa configuration en longueur, très étroite et bordée de façades, le rendra inadapté aux activités traditionnelles de jeux en plein air que l’on associe habituellement à un « jardin » public. Et ailleurs pourquoi se rendre dans un jardin enclavé, le plus souvent dépourvu de soleil, alors qu'une offre de meilleure qualité existe sur les deux rives de la Seine?
- Un jardin paysager « à regarder » ? Encore une fois, quel en serait intérêt au regard des espaces verts disponibles à proximité.
Voici ci-dessous l'espace du « jardin » de 13000m2 du projet Nouvel « 310000 » rapporté approximativement à la surface du parc de Billancourt.
Ce jardin n'a pas de sens. Or, encore une fois, c'est justement de sens dont a besoin un projet d'aménagement de l’île Seguin. Pour cela les espaces végétalisés installés sur l’île doivent s'inscrire pleinement dans la démarche architecturale du site. On notera d’ailleurs que dans ses 3 projets, Nouvel proposent de couvrir son « jardin » d'une verrière. Dans ces conditions, au-delà du probable rappel symbolique des verrières de l'ancienne usine, un tel espace s’apparenterait d'avantage à une serre qu'à un jardin traditionnel. Cela n'est pas incohérent, bien au contraire, avec la vocation culturelle de l’île On pourrait ainsi imaginer une plantation d'arbres et de végétaux tropicaux à visée éducative, en lien avec future école de la biodiversité prévue sur le Trapèze. Mais alors appelons les choses par leur nom, parlons de serre, de terrasse, de belvédère, de promenade sur le pourtour de l’île, mais oublions ce pseudo jardin qui n’existe pas, et dont le vocable n'est destiné qu’à rassurer l'électeur !
Reste à analyser le niveau de constructibilité des projets, qui se distinguent par la hauteur et la destination de certains des bâtiments - en clair des tours - seul véritable élément différenciateur à la fois esthétique et économique.
Écartons ici le projet « Fourcade » de 2005, qui n'était cité dans l'analyse qu' à titre d'élément de comparaison, pour nous recentrer sur l'offre Nouvel.
Rappelons que les projets « 255000 » et « 310000 » prévoient l'implantation de 1 à 4 tours de grande hauteur (jusqu'à 120m). Seul le projet "232000" en est exempté.
Au fond, l'offre Nouvel peut se lire de la façon suivante :
Le projet « 232000 » est Le projet de référence, celui qui répond à l'objectif culturel et artistique fixé pour l’île Seguin : pôle musical, Pointe des arts (R4), équipements sportifs, commerces, etc...
L'équilibre financé est assuré par une certaine quantité de commerces, de bureaux et d’hôtels.
Les projets 255000 et 310000 fournissent les mêmes prestations mais proposent une proportion plus importante d'hôtels et de bureaux. L'emprise au sol ne pouvant être étendue, l’augmentation des m2 rend nécessaire l’édification de tours.
Cela est ambitieux, peut-être générateur de revenus pour la commune, mais risques intrinsèques de ces 2 projets– difficulté à commercialiser les surfaces dans un contexte économique dégradé sans doute durablement, rejet des formes urbaines retenues, densité perçue comme excessive - doivent nous inciter à la prudence. D’autant que nous ne disposons pas des précisions nécessaires pour appréhender pleinement les enjeux : simulations économiques, projections des flux de circulation, présentation détaillées des architectures et du choix des matériaux, etc…
De ce point de vue, le projet n° 3 (232000m2) apparaît comme une offre raisonnable qui doit pouvoir faire consensus, à condition que la qualité des prestations soit au rendez-vous.
Formulons donc à la mairie l’exigence que les boulonnais soient consultés lors des choix des projets architecturaux et des aménagements pour chacun des lots !
Gardons en tête que de nombreux projets architecturaux ont été proposés pour l’île Seguin depuis 20 ans et qu’aucun n'a abouti, que l'installation de la fondation Pinault a été abandonnée. Ne regardons pas derrière nous à la recherche du temps passé et saisissons la chance de voir enfin un projet d’avenir crédible se concrétiser.